Régler les problèmes du podcast… avec un modèle similaire au navigateur Brave ?
Depuis plusieurs mois, l’arrivée d’intermédiaires pour l’écoute de podcasts pose problème…
Des applications comme Majelan, Tootak et Talkers — pour ne rester qu’en France — veulent développer le secteur du podcasting, en apportant des solutions pour favoriser l’écoute et la découverte de contenus audios. Ces start-up se positionnent sur ce créneau à juste titre, mais le marché du podcast ne peut se construire en l’état.
A chaque fois qu’une nouvelle application se lance, il y a toujours toujours les mêmes levées de boucliers, toujours les mêmes questions et problématiques qui surgissent :
- Quid de la rémunération des créateurs par les applications qui utilisent leurs contenus ? Plus globalement : quelles autorisations, pour quelles conditions ?
- Comment mesurer la performance d’un podcast dans un contexte publicitaire ? En quoi les mesures d’audience ne sont pas assez “complètes” aujourd’hui ?
1- Le constat : les plateformes de lecture de podcasts sont des intermédiaires, qui ne partagent pas forcément d’intérêts avec les créateurs…
L’exemple qui me vient tout de suite à l’esprit, c’est TuneIn. Cet agrégateur de radios (et podcasts) est devenu une référence à tel point qu’il est le service par défaut pour écouter les radios sur les assistants vocaux d’Amazon et de Google. TuneIn est une entreprise qui n’a aucun compte à rendre aux éditeurs radiophoniques. La société contrôle comme bon lui semble les médias agrégés. L’application TuneIn place des publicités et propose des abonnements à ses utilisateurs, au détriment des radios et podcasts recensés qui ont pourtant participé au succès du service.
Du coup on peut se poser la question : faut-il vraiment un intermédiaire pour écouter des podcasts ? N’est-ce pas nuisible pour l’écosystème ?
Dans tous les cas, imaginons qu’une société “honnête” veuille développer des fonctionnalités en concertation avec les acteurs du secteur : elle n’aura malheureusement aucun organisme de référence vers qui se tourner. Il faudrait au moins un ensemble d’accords sur les principes de base, comme la mise en forme des descriptions d’épisode. Il faut aussi envisager une entité en charge de décourager les pratiques allant trop à l’encontre des intérêts des producteurs de contenus (cf l’affaire Luminary).
2- Solution de structuration : créer un organisme, avec un maximum d’acteurs
Radios, agences de production, mais aussi associations de producteurs indépendants, comités d’annonceurs, régies, plateformes d’hébergement… L’idéal (mais c’est utopique) serait de rassembler l’écosystème dans sa globalité, avec un mode de gouvernance analogue à celui de Médiamétrie.
Mais ce qui m’inquiète, c’est que personne ne semble vouloir s’accorder sur la moindre chose. Déjà sur la définition du mot “podcast”. Certains podcasteurs indépendants ont commencé à différencier leurs productions des contenus des radios, en précisant que les radios ne font pas du “podcast” mais “de la radio de rattrapage”. Puis est venue la mode de l’expression “podcast natif”, et le sous-entendu que cela impliquait des écritures différentes de celles en radio. Personnellement, je ne fais aucune différence entre une émission de radio que j’écoute à la demande et un épisode d’un podcasteur indépendant. Chacun peut avoir une vision du média et des ambitions économiques différentes, mais cela ne doit pas créer d’oppositions.
L’écosystème est tristement peu structuré aujourd’hui. Il n’y a aucun regroupement cohérent autour de l’audio à la demande. Il serait pourtant judicieux d’avoir une collaboration autour de la technologie, pour une meilleure compétition autour du contenu.
Les tentatives de regroupements manquent systématiquement de cohérence (incompréhension des limites techniques, refus des ambitions économiques disparates, etc.). Espérons que le GESTE, qui a annoncé la création d’un groupe de travail sur la distribution des podcasts, changera la donne dès la première réunion le 4 juillet.
Pour assurer l’avenir du podcast, il faudrait définir des règles, des standards. Mais en réalité cela serait insuffisant, car les applications (“plateformes”) auront toujours le dernier mot, car elles maîtrisent les tuyaux.
3- Solution “naïve” : un portail unique (et donc fermé…)
Plus haut j’écrivais : “une collaboration autour de la technologie, pour une meilleure compétition autour du contenu”.
Cette phrase est fortement inspirée de l’idéologie de Radioplayer, visant à développer des technologies unifiées pour les radios nationales du Royaume-Uni, Irelande, Belgique, Suisse, Norvège, Allemagne, Autriche, Canada et du Pérou
Share technology, compete on content
Ce qui serait cohérent (mais très “extrême”), c’est que les radios, agences et producteurs indépendants s’organisent et développent ensemble une technologie unique.
Cela demanderait donc d’abandonner le RSS, sans quoi il y aurait toujours possiblement des applications tierces venant “se servir” dans les catalogues de contenus.
En plus de maîtriser parfaitement le “tuyau” au sein duquel transitent leurs contenus, l’intérêt d’un lecteur unique réside aussi dans le fait que les statistiques ne sont plus limitées vu qu’il n’y aura plus une multitude d’applications de lecture (“clients”).
C’est un sujet qui fait débat au sein de la communauté des podcasteurs, mais il est nécessaire pour un annonceur de savoir combien de fois sa publicité en mid- roll a effectivement été lue ; il est utile pour un créateur de contenus de comprendre son audience en analysant les taux d’écoute, les durées moyennes d’écoute par épisode et les “points d’arrêts” principaux (les moments où les utilisateurs ont le plus abandonné la lecture).
Tous ces indicateurs, qui peuvent également être calculés à l’aide de spécifications telles que RAD, ne peuvent s’obtenir qu’en plaçant des marqueurs analytiques de façon uniforme sur toute application cliente lisant le podcast.
Ce n’est absolument pas possible d’avoir ces données en analysant les logs serveur de son hébergeur.
Mais pour revenir à l’idée de portail unique, cette approche est risquée !
Avant tout, difficile d’imaginer la mise en place d’une telle solution, les changements à opérer sont trop importants, à commencer par l’abandon du RSS.
Et puis la force du podcasting réside dans son format ouvert comme le dit si bien le manifeste du “podcast ouvert” de Yann Rieder. C’est mieux pour l’auditeur d’avoir le choix entre différentes applications pour écouter un podcast.
Après tout, le web actuel est également considéré comme “ouvert” et heureusement qu’il existe différents navigateurs pour accéder aux sites, n’est-ce pas ?
4- Solution idéale : modèle du navigateur Brave, pour les podcasts.
Justement à propos des navigateurs web : connaissez-vous Brave ? C’est un navigateur respectueux de la vie privée, basé sur le même code source que Google Chrome, avec un adblocker intégré. De plus, Brave donne le choix à ses utilisateurs en matière de publicités, et les internautes sont rémunérés en “jetons” BAT quand ils regardent des annonces. Ces jetons obtenus peuvent être utilisés pour faire des dons aux éditeurs des sites web visités.
La monnaie numérique BAT est échangeable facilement en Euros (ou autre) sur des plateformes comme Uphold ou Coinbase.
En réalité, c’est une expérimentation intéressante de la technologie blockchain. Pourquoi utiliser cette technologie blockchain, et non pas directement l’euro ? Du fait qu’elle repose sur une base décentralisée, cela présente grandement un intérêt dans le sens où aucune partie prenante seule ne peut la contrôler, aucune entité ne pourra théoriquement être à la tête d’un monopole avec ce système.
En 2019, le marché de la publicité sur Internet est majoritairement sous l’emprise de deux sociétés : Facebook et Google. Le système Brave tente de régler le problème. Je vous invite à consulter le livre blanc qui explique le projet plus en détails. Brave apporte une vision du Web où annonceurs, éditeurs et utilisateurs ne sont plus parasités par des intermédiaires, et ce de façon décentralisée :
- Les annonceurs paient en euros (ou autre) de l’attention utilisateur, modélisée en actif numérique BAT (“Basic Attention Token”). Pour résumer grossièrement, imaginons qu’un annonceur veuille payer pour une minute d’attention de 1000 utilisateurs. Ceci aura toujours la même valeur en terme de “temps de cerveau disponible” (1 minute d’attention, 1000 utilisateurs) ; mais selon la demande, le prix à payer ne sera pas le même.
- S’ils veulent gagner des jetons BAT, les utilisateurs regardent des publicités non intrusives, dans le respect de leur vie privée. Ils sont rémunérés en BAT, représentant un certain temps d’attention utilisateur.
- Les éditeurs de sites web peuvent recevoir des dons en BAT de la part de leurs visiteurs, en deux clics directement depuis le navigateur à côté de la barre d’adresse. Un système permet aussi de rétribuer les éditeurs automatiquement en fonction du temps qu’un internaute a passé sur chacun des sites. Les éditeurs ont ainsi des jetons BAT sur un portefeuille virtuel. Ils peuvent décider de les échanger contre des euros en les échangeant sur des plateformes de crypto-monnaies.
Revenons maintenant au podcast. Actuellement, le navigateur Brave se base sur les noms de domaine (vocast.fr, google.fr, medium.com) pour rémunérer les créateurs, sauf pour Youtube, Twitch, Twitter, Viméo et Reddit où la répartition des rétributions se fait par compte utilisateur.
Si la rétribution pouvait aussi se distinguer par flux RSS — et si on pouvait facilement écouter un podcast via le navigateur — chaque podcasteur pourrait recevoir des contributions en BAT par somme de durées d’écoute et/ou par dons. En plus d’apporter un système juste et égalitaire, on peut y remarquer d’autres bénéfices :
- Plus besoin de passer par Patreon pour faire des dons, la fonctionnalité est intégrée au sein du client de lecture. A noter que les utilisateurs peuvent aussi acheter des jetons BAT s’ils n’en n’ont pas assez pour faire des dons plus significatifs.
- Cela facilite la mise en place de podcasts “privés” : les RSS premiums (générés par utilisateur) sont accessibles en s’identifiant via le navigateur. Plus d’ajouts manuels ambiguës dans un agrégateur de podcasts.
- Les utilisateurs font le choix de d’avoir de la publicité ou non. Les créateurs sont rémunérés sans se soucier de la monétisation des contenus (et obtiennent aussi une indépendance éditoriale). Les annonceurs bénéficient sans intermédiaires d’une attention auditeur certifiée, mesurée sans compromettre la vie privée des auditeurs. Tout le monde y gagne dans l’histoire !
Reste tout de même l’aspect navigation et gestion des abonnements. Il faudrait un module complémentaire pour avoir quelque chose d’aussi ergonomique à l’usage qu’Apple Podcasts.
Mais il n’est pas nécessaire d’attendre que l’équipe de Brave développe éventuellement une telle solution ! Les acteurs du podcasting peuvent se réunir et décider de concevoir ensemble une plateforme sur cette même base, avec un mode de gouvernance équitable et profitant à tous.
Je parle de Brave, mais il y a pas mal de projets sur le même principe : Verasity (qui se focalise sur les vidéos) ou même RadioYo (j’avais évoqué ce projet dans un article précédent, mais c’est toujours difficile de savoir si l’équipe derrière tient la route…).
Un autre projet en cours de développement, conçu par un américain (seul, dans son coin!), repose sur ces mêmes approches : Podcrypt.
Un tel projet grandeur nature serait certes compliqué à mettre en oeuvre, mais serait très bénéfique pour tous les acteurs du podcast. Je pense qu’il faut d’abord qu’un organisme réunissant un maximum d’acteurs se constitue, pour éventuellement concevoir ensemble un tel dispositif.
Ce billet d’innovation disponible en audio : podcast Des Ondes Vocast
Des Ondes Vocast, c’est le podcast sur la radio d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Contact : @AnthonyGourraud ou contact[@]vocast.fr