Qu’est-ce que “Web Monetization” ? Et en quoi est-ce prometteur pour les médias ?
Un média peut se financer de plusieurs façons sur Internet. J’avais d’ailleurs listé 5 modèles de monétisation pour les podcasts.
Cependant, quel que soit le système adopté, l’expérience utilisateur est toujours dégradée. Multitude d’abonnements mensuels à combiner, interfaces bombardées de publicités invasives, ou même contenus qui se transforment tous petit à petit en publicommuniqués… Le temps est venu de repenser l’économie du web.
Web Monetization : une spécification pour rémunérer les éditeurs sur le web
La librairie Web Monetization décrit un ensemble de méthodes pour permettre à des sites web de recevoir des micropaiements à partir des navigateurs. L’idée initiale est de pouvoir rentabiliser son audience sans demander aux utilisateurs d’acheter quelque chose, et sans leur imposer de la publicité. Element important à prendre en compte : conçu pour préserver la vie privée, ce système ne prévoit pas de stocker les informations sur “qui visite quoi”.
La technologie Web Monetization n’est pas propriétaire. Le projet a été proposé auprès de l’organisme W3C pour devenir un standard du web.
Principes et fonctionnements, avec Coil
Les développements autour de Web Monetization sont très récents. Il y a encore très peu de programmes qui se basent dessus. Pourtant la mise en place est simple et rapide, autant pour les utilisateurs que pour les éditeurs.
- Côté utilisateur : L’internaute utilise un service, un “Web Monetization provider”, capable d’envoyer les micropaiements aux sites web visités. Pour le moment, il n’existe que Coil.
Coil propose un abonnement de $5/mois. Pour relier sa souscription Coil à son navigateur web, il faut installer l’extension “Coil”, ou bien installer Puma Browser sur mobile.
- Lorsqu’un membre de Coil visite un site web ayant intégré Web Monetization, Coil réalise chaque seconde un micropaiement équivalent à $0.0001 (ce qui revient à $0.36/heure). Ainsi, si 1000 personnes membres de Coil visitent chaque jour pendant 10 minutes un même site internet, les propriétaires de ce dernier recevront l’équivalent de $1800 chaque mois.
Note : L’utilisateur ne paie ni plus, ni moins que $5 chaque mois. Coil précise qu’à partir du moment où un membre a dépensé plus de $4.50 de son abonnement — soit plus de 11h30 de visites “web monétisées”, le taux de rémunération baisse.
- Côté éditeur : Pour recevoir les micropaiements via Web Monetization, il faut disposer d’un portefeuille numérique associé à une adresse publique, un “payment pointer” (ILP).
Je recommande d’utiliser Uphold, qui permet d’obtenir les fonds parmi une soixante de monnaies (en euros ou dollars, mais aussi en cryptomonnaies BTC, ETH, XRP, ou BAT par exemple). Créer un compte sur Uphold et générer un “pointeur de paiement” sous la forme $ilp.uphold.com/XXXXXX est très simple et rapide.
Il suffit ensuite d’ajouter le “pointeur de paiement” dans le code HTML du site web à monétiser, au moyen d’une balise <meta> dans la section <head>. L’opération est triviale, très bien expliquée dans la documentation de webmonetization.org. Pour encore plus de facilités, des plug-ins comme celui applicable avec WordPress sont disponibles.
Cas particulier : monétiser sa chaîne Youtube
Coil dispose d’un mécanisme spécifique pour que chacun puisse monétiser sa chaîne Youtube. Il faut pour cela créer un compte sur Coil et relier les comptes entre eux. L’adresse de paiement donnée par Uphold est à fournir dans la section “Payouts” des paramètres Créateurs de Coil.
Les intérêts d’un tel système, et les limites
Web Monetization permet aux éditeurs de moins se préoccuper des aspects commerciaux visant à rentabilité l’activité. Ils peuvent ainsi concentrer leurs efforts sur la création de contenus de qualité.
Les éditeurs sont libres d’utiliser la technologie Web Monetization à leur guise, et libres d’avantager ou non ceux qui paient. Par exemple, au moyen d’un simple script JS, il est possible de proposer une sorte de paywall, donner accès à du contenu exclusif uniquement aux visiteurs “web monétiseurs”. Ou ces derniers pourraient également avoir accès à un site sans publicités, comme le montre cet exemple dans la documentation de webmonetization.org.
Tout comme avec le modèle publicitaire, un utilisateur génère de l’argent dès sa première visite sur un site “web monétisé”. Les paiements se réalisent automatiquement, sans frictions pour l’internaute. Et il y a moins de “middleman”, moins d’acteurs extérieurs prenant une marge sur la valeur de l’audience.
C’est aussi un moyen assez simple pour faire vivre sa communauté de contributeurs, à l’image d’Imgur, qui utilise Coil pour rémunérer les créateurs de mêmes postés sur la plateforme.
La rémunération est basée sur le temps d’attention. Ce principe parait juste : la qualité et donc la capacité à maintenir le lien avec l’audience sera récompensée. Mais est-ce qu’une minute d’audio écoutée sur un site web a systématiquement autant de valeur qu’une minute de vidéo ? Est-ce que deux articles auxquels un internaute a accordé le même temps de lecture méritent pour autant la même rémunération ? Bien sûr que non, et c’est à mon sens LA faiblesse de ce modèle. Sans oublier qu’un onglet du navigateur peut rester longtemps actif pour diverses raisons (l’utilisateur peut en réalité faire une pause loin de son écran par exemple) ; cela ne justifiant pas forcément une rémunération par temps de visite.
Notons aussi que l’enjeu est de convaincre les utilisateurs de s’abonner à un service comme Coil. D’ailleurs, faut-il d’autres “Web Monetization providers” ? Oui, pour éviter un monopole avant tout.
Mais ce qui me dérange principalement avec Coil, c’est l’impossibilité de valider (ou invalider) les sites que je rémunère. Je ne veux pas forcément soutenir tous les sites que je visite.
Et surtout il est aujourd’hui impossible de vérifier où va l’argent de mon abonnement : il faut faire confiance à Coil.
Bilan : libre à chacun de proposer une alternative à Coil, plus permissive et transparente, mais toujours en suivant la spécification Web Monetization.
Peut-on utiliser Web Monetization pour du “revenue sharing” ?
On ne peut informer qu’un seul “payment pointer” par page web. Ainsi, comment faire pour rémunérer plusieurs entités pour une même page web visitée ? La solution consisterait à déterminer pour chaque nouvelle visite un “payment pointer” parmi une liste d’adresses, au moyen d’un algorithme probabiliste. Le pointeur est choisi au hasard à chaque chargement de page, selon une loi de probabilité. Par exemple, quand un visiteur se rend sur le site, on peut décider qu’il y a 60% de chances que ce soit l’adresse de l’éditeur qui soit choisie, 30% celle du journaliste qui a écrit l’article, et 10% celle du photographe à l’origine de l’illustration. Cependant, ce mécanisme n’est pas forcément juste car la répartition des adresses est basée par chargement de page, et par non par temps total de visite.
Poussons donc le concept de Web Monetization un peu plus loin ! Imaginons l’utiliser pour une gestion des droits d’usage juste, simplifiée et sans intermédiaires.
Exemple avec un épisode d’un podcast, qui utilise pendant 30 secondes un fond sonore non libre de droits. Le scénario rêvé ? Un système via Web Monetization qui détecte qu’il doit, lors de la lecture de la partie concernée de l’épisode, envoyer X% des sommes issues des micropaiements aux ayants droits du fond sonore.
Ces principes pourraient très bien se décliner sur l’utilisation d’images ou de vidéos, qu’importe le support.
Projets analogues
- Le navigateur Brave, qui reprend le code source de Chrome, paie ses utilisateurs pour les publicités qu’ils reçoivent en notifications. L’internaute choisit le nombre maximal de publicités qu’il accepte de voir par heure. Les réclames sont diffusées dans le respect de la vie privée. Les paiements sont effectués en jetons BAT, une cryptomonnaie basée sur la blockchain Ethereum. L’argent collecté par l’utilisateur peut servir à envoyer des dons aux éditeurs de son choix. Et sur le même principe que Web Monetization, il est aussi possible de rémunérer les différents sites web visités, proportionnellement selon les temps de visite. L’utilisateur a la possibilité d’exclure certains sites.
Pour plus de détails, je vous invite à lire mon précédent article sur Brave. - Il existe aussi des plateformes rémunérant en cryptomonnaies par temps d’attention, pour des usages spécifiques.
Par exemple pour les podcasts, Podcrypt repère les adresses Ethereum dans les descriptions pour rémunérer les créateurs en proportion du temps d’écoute total de chaque auditeur.
Dans la même veine, le tag <podcast:value> de PodcastIndex (cf. la spécification) à informer dans le flux RSS pourrait permettre de réaliser des paiements avec revenue sharing en Bitcoin (plus de détails dans cet article de BrianofLondon).
MAJ 27/11/2020 — Suite à la création de cet article :
- La solution d’hébergement de podcasts Castopod prend désormais en charge Web Monetization
- Une proposition pour intégrer Web Monetization dans un flux RSS suivant la spécification podcast namespace de PodcastIndex est à l’étude.
A propos
Je suis Anthony GOURRAUD, ingénieur spécialisé sur les sujets d’innovation pour les médias. Je suis un “creative technologist” français, passionné par la radio (broadcast & podcasting).
Je produis un podcast mensuel sur le monde radiophonique : Des Ondes Vocast. À chaque épisode, il est question d’actualité, d’innovation et technologies autour de la radio et du podcast, en plus d’une partie sur l’histoire du média illustrée avec des extraits d’archives.
Pour aller plus loin, écoutez l’épisode du flux Des Ondes Vocast Premium (enregistré avec Benjamin Bellamy) à ce sujet.
D’ailleurs, un système donnant accès aux contenus Premium à ceux “web monétisant” Vocast est à l’étude !