Les moyens techniques pour faire de la radio en dehors du studio
Suite à la pandémie de Covid-19, les radios ont dû s’adapter avec le confinement. Quels dispositifs techniques ont été utilisés pour assurer le maintien des programmes ? Quelles solutions existent, et pour quels cas d’usage ? Réponses avec Marc Rigo, responsable technique audio, qui a plusieurs années d’expérience à son actif sur les sujets techniques pour le broadcast.
Cet article est un contenu du podcast Des Ondes Vocast Premium. Vous pouvez aussi retrouver le lien d’écoute de cette chronique en suivant le lien à la fin de la page.
Comment faire pour que des animateurs, journalistes et chroniqueurs puissent toujours être à l’antenne, en restant chez eux ?
Il y a plusieurs approches concernant les interventions :
- On peut recourir au voice-track, à savoir s’enregistrer et placer ensuite le fichier audio dans la programmation. C’est une pratique d’ailleurs très courante, même en dehors de la période de confinement…
- Dans le cas où le direct est privilégié, il y a plusieurs options possibles.
Dans le cas le plus simple, avec l'audio sur IP, il est possible de virtualiser la console et donc de prendre la main dessus pour pouvoir alimenter le flux de la radio depuis chez soi sans soucis.
L'avantage avec l'audio, c'est qu'il y a toujours une solution ; il faut juste parfois bien se creuser la tête. Il faut quand même avoir un minimum de matériel de qualité.
Quels équipements et logiciels faut-il installer au domicile de chaque intervenant ?
Niveau hardware, il est tout à fait convenable d’utiliser des appareils de reportage comme ceux de la marque Zoom, qui servent habituellement pour les micro trottoirs. Mais le plus simple pour du voice-track, c’est d’avoir une carte son pour pouvoir brancher un micro sur son ordinateur (niveau micro, celui du PC - tout comme celui de son smartphone - ce n’est vraiment pas top). Dans une configuration sans carte son, à la rigueur certains bons micros USB peuvent faire l’affaire, en dernier recours.
L’idéal est d’avoir une table de mixage avec carte son intégrée, comme la table RodeCaster (habituellement très prisée des podcasteurs) ou la Zoom L8.
Pour l’enregistrement, il existe plein de solutions, du direct sur carte SD au logiciel dédié comme Audacity, SoundForge, Adobe Audition, Hindenburg Journalist, ou autres.
Se pose surtout la question de l’accès au logiciel de diffusion de la radio. Selon les cas, il faut déposer les fichiers sur un FTP - avec Filezilla par exemple -, parfois uniquement accessible via un VPN. Le cas le plus courant, pour les radios locales notamment, c’est de passer par un logiciel comme TeamViewer pour accéder à la machine de diffusion depuis n’importe quel ordinateur. Il est ainsi possible de glisser directement les fichiers de voice-track au sein des softs d’automatisation radio type WinMedia. Notons que cette approche peut poser problème : quand les serveurs du logiciel de prise en main à distance ne fonctionnent plus correctement ou sont trop sollicités, les interventions à distance deviennent très fastidieuses et même parfois impossibles.
Comment fait-on pour réaliser des enregistrements à plusieurs, à distance ?
Si ce n’est pas en direct, l’idéal est d’enregistrer chaque intervenant en local et de mixer ensuite les pistes.
Certains font des visioconférences via Skype par exemple. Ce n’est pas la meilleure des solutions, puisque la qualité du son va fortement dépendre du débit de tous les intervenants... ce qui multiplie d'autant plus la potentialité des problèmes.
Il existe des solutions un peu plus robustes comme Source Connect, qui sont également dépendantes de la bande passante, mais sont faites pour les enregistrements audio.
Pour un rendu très professionnel à plusieurs, et notamment pour du direct en connexion avec le studio, les codecs de Tieline ou d’AETA sont très efficaces. C’est d’ailleurs ce type de solution qui est privilégié par les radios nationales. Les codecs de ce genre jadis utilisaient des lignes Numéris. Dorénavant, cela passe par IP (Ethernet ou 4G). Les codecs AETA, ce sont les fameux “Scoopy” qu’on a pu voir sur les réseaux sociaux de certaines personnalités de radio s'affichant en train de faire les émissions depuis chez elles.
Le Scoopy+ présente trois entrées micros (on peut aussi y brancher une table de mixage), son prix est aux alentours des 2800€. La version la plus simple, le ScoopFone (entre 1200 et 2200€) ne comporte qu’une seule entrée micro/ligne.
En équivalent totalement dématérialisé, il y a le codec eScoopFone, un codec audio sur smartphone d’AETA. Tieline aussi propose un codec virtuel très performant. Il faut une interface type iRig pour y brancher un micro sur son mobile, même si le kit main libre du téléphone fait l’affaire grâce aux traitements de son opérés par la suite.
Pourquoi utiliser des codecs ? Qu’est-ce qu‘ils apportent de plus ?
La connexion et (donc) le son sont de meilleure qualité avec les codecs. C’est du matériel qui est vraiment fait pour ça ; les codecs appliquent des traitements aussi comme l’echo cancelling, entre autres.
Comment se font les connexions entre les codecs et le studio / la console principale, le CDM de la radio ?
S‘il y a un codec en "émission", il faut un codec en "réception" (en réalité pas forcément, mais pour cet article, excluons les cas de figure particuliers…)
Il y a donc un codec en studio qui récupère le son et qui l'envoie vers la console. Il n’y a pas forcément besoin d'un technicien sur place, même si c'est le plus pratique ; la tranche du codec sur la console en studio peut être levée en permanence, et le logiciel d'automation géré à distance (via Team Viewer par exemple).
Il est courant d’entendre que la grosse difficulté dans ce type d’opération, c’est lorsqu’il y a beaucoup de connexions (plusieurs intervenants en même temps), et qu’il faut réaliser des “N-1”. Concrètement, cela correspond à quoi ?
Les “N-1”, c’est le fait de renvoyer à l’interlocuteur distant tout le retour antenne, sauf lui même. “N”, c’est le nombre de sources à l’antenne, “-1” la source interlocuteur. Parfois on parle aussi de mix minus… c’est la même chose, c’est une autre façon d’appeler les “N-1” !
Le problème avec les “N-1", c’est que plus il y a d’entrées distantes (donc de “N”), plus il faut se creuser la tête, car il faut créer autant de mix minus que de “N”.
C’est un peu compliqué d’expliquer comment faire concrètement, sans être très technique. Il y a plein d’approches, et cela dépend de la console en studio. Certaines consoles ont plusieurs sorties “auxiliaires” permettant de câbler cela facilement, mais souvent il n’y en a pas assez pour le faire avec chaque intervenant extérieur. Il y a parfois moyen de créer logiciellement des “N-1”, notamment avec les consoles en audio sur IP. On peut aussi imaginer connecter un mixer à la console, pour rajouter le nombre d'auxiliaires manquants.
Pourquoi pour certaines personnes la qualité du son est moins bonne, à dispositif égal ? Pourquoi a-t-on l’impression que certains sont dans leur baignoire chez eux quand ils parlent ?
A ce niveau, c’est en fonction de la configuration de la pièce où a lieu la prise de son. Il vaut mieux être dans un endroit où le sol est en moquette plutôt qu’en carrelage par exemple. Histoire d’avoir le son le plus “neutre” possible, il faut chercher où le son rebondit le moins, en faisant des tests avec des claquements de doigts. Il faut viser là il y a peu voire pas de fenêtre.
Pour l’anecdote, certains s’enregistrent dans leurs toilettes, sous une couette, faute de mieux ! D’autres tentent de bricoler des isolations avec des boîtes d’oeufs… Période exceptionnelle, moyens exceptionnels !
Dans tous les cas, il ne faut pas enregistrer trop fort. Il faut éviter les excès, pour ne pas avoir une reverb trop désagréable notamment. Les traitements de son en bout de chaîne devraient arriver à rectifier le tir si c’est capté à faible niveau.
Comment opère-t-on un standard téléphonique à distance ?
Il est possible de le déporter, en faisant un transfert de ligne ou en utilisant un VPN. Mais l’idéal c’est d’avoir une solution de “standard virtuel” (comme Neoscreener) pour profiter d’un dispositif accessible depuis n’importe où, alimentant une source d’entrée de la table en régie.
Que faut-il faire pour se préparer à d'éventuels nouveaux aléas dans le futur ?
La situation liée à la pandémie de Covid-19 est absolument exceptionnelle, il est difficile d’anticiper de tels événements. Tout est question de probabilités et de contraintes en termes de qualité de service.
Le service public devant assurer ses missions quoi qu’il arrive, le plan de continuité d’activité doit être solide. C’est pourquoi d’ailleurs la Maison de la radio a des studios de secours.
C’est sûr qu’avoir toute la technique trop concentrée en un point, c’est risqué. Pour le coup sur Skyrock, la situation était plus simple sur certains points car contrairement aux stations de radio concurrentes dont les matinales sont réalisées depuis leur siège, Le Morning de Difool est produit depuis un appartement à Courbevoie !
Les radios peuvent aussi se pencher vers des solutions tout en un comme Lumo, comprenant diffusion, (auto)mixage + DSP, et téléphonie IP + transmission IP. L’installation d’un tel logiciel est simple et se fait sur un PC classique. Le studio est ainsi totalement virtualisé ; n’importe quel technicien peut intervenir à distance. En plus de gérer sans difficultés les “N-1”, ces interfaces sont totalement pensées pour des opérations à l’extérieur, et, grâce aux contrôles tactiles, sont facilement utilisables par les animateurs/DJs.
Conclusion
Les radios disposent de nombreuses solutions de mobilités. Après la crise, il se pourrait que certains fassent plus de contenus de proximité, avec plus d'interactivité et de délocalisations, maintenant que la technique est rodée !
Des Ondes Vocast
Ceci est un article complémentaire au podcast “Des Ondes Vocast”. Des archives qui ont marqué la bande FM aux discussions autour des futurs possibles du média, le podcast “Des Ondes Vocast” est dédié aux passionnés de radio.
Lien pour écouter la version audio de cet édito :
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